[Info FR] LGBTQIA+ paysannes en lutte : libérer la terre, libérer les corps

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Mer 7 Juil 13:00:57 CEST 2021


Umut Vedat, La Via Campesina 

LGBTQIA+ PAYSANNES EN LUTTE : LIBÉRER LA TERRE, LIBÉRER LES CORPS

CONSTRUIRE DES PRATIQUES DE LIBÉRATION ET LUTTER CONTRE LA LGBTPHOBIE À
LA CAMPAGNE SONT DES PROCESSUS EN COURS CHEZ VIA CAMPESINA.

Par Capire 

Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, _queers_ ¹, intersexes,
asexuels. Le 28 juin est la Journée internationale de la fierté
LGBTQIA+. La lutte LGBTQIA+ est diversifiée et répond à différents défis
à travers le monde. La lutte LGBTQIA+ paysanne, féministe et populaire
englobe et transcende la fierté de chaque personne pour sa propre
existence ; c'est l'action d'une volonté collective de se transformer
pour un monde sans les clôtures qui contrôlent la terre et sans celles
qui contrôlent les corps et les sexualités. Mais cette expérience de
lutte paysanne est souvent cachée dans des discours hégémoniques sur les
sujets LGBTQIA+, comme si c'était un agenda urbain et individuel. CAPIRE
a échangé avec Paula Gioia, Yeva Swart, Cony Oviedo et Alessandro
Mariano, membres de Via Campesina en Europe et en Amérique du Sud, sur
la participation et l'apport des personnes LGBTQIA+ à l'apprentissage
collectif au sein du mouvement paysan. 

Paula Gioia est une apicultrice, migrante brésilienne en Allemagne,
membre de l'Association pour l'Agriculture Paysanne
(_Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft - _AbL) et représentante
de l'Europe au Comité International de Coordination de la Via Campesina.
Yeva Swart est néerlandaise, travaille comme éleveuse de moutons en
France et intègre Agriculteurs pour l'Avenir _(Toekomstboeren)_. Cony
Oviedo est éducatrice, communicatrice et poète, membre de la
Coordination Nationale de l'Organisation des Travailleuses Rurales et
Autochtones (CONAMURI) au Paraguay. Alessandro Mariano est éducateur et
intègre la Coordination du Collectif LGBT National du Mouvement des
Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) au Brésil. 

LA RÉALITÉ DES PAYSANNES LGBTQIA+

Dans le monde dans lequel nous vivons, assumer d'être un corps dissident
des normes, c'est souvent ressentir de la solitude. La binarité de genre
et le modèle de famille hétérosexuelle empêchent souvent l'expérience de
la diversité, et ce contrôle peut générer le silence, la violence, la
dépression et l'éloignement. Les médias et les secteurs religieux
promeuvent des stéréotypes empreints de préjugés, qui dictent ce qui «
ressemble » et ce qui « ne semble pas » être une personne LGBTQIA+. «
L'image est associée uniquement à quelqu'un qui aime s'amuser, et non à
une personne qui peut avoir de la discipline et un projet de vie »,
déclare Cony Oviedo. 

> Quand ils découvrent que vous êtes lesbienne, ils disent : « on ne dirait pas »

Dans diverses parties du monde, les gens abandonnent les territoires
ruraux, en raison de la précarité du travail agricole salarié, des
conflits avec les mégaprojets destructeurs imposés par les grandes
entreprises et de la promesse d'une « vie meilleure » en ville. De plus,
la tradition familiale et le moralisme, qui existent également dans les
campagnes, sont des raisons qui poussent les paysannes LGBTQIA+ à
l'exode rural. 

« Bien qu'il n'y ait pas, en Europe, le niveau de violence auquel les
personnes LGBT sont confrontées dans d'autres pays, souvent les zones
rurales ne sont toujours pas accueillantes pour les corps et les
sexualités dissidentes », dit Paula Gioia. « Il est important de
comprendre et de souligner qu'en n'ayant pas à vous soucier de cacher
qui vous êtes, quelle est votre sexualité et votre identité de genre,
vous pouvez contribuer beaucoup plus à notre lutte commune pour la
souveraineté alimentaire [1] ». Surtout après les difficultés
rencontrées pendant la pandémie, de nombreux jeunes sont prêts à
retourner à la campagne. L'organisation communautaire est une stratégie
possible pour revenir avec plus de force et de soutien mutuel. «
Construire et vivre en communauté est déjà, en soi, une manière _queer
_de vivre ensemble et de travailler collectivement. » 

> Par peur de la stigmatisation, de nombreuses compagnes, compagnons et compaigns se cachent et ne disent que dans des espaces de confiance « Je suis lesbienne », « Je suis bisexuel »... Dans les communautés, il existe une culture qui se transmet de génération en génération. Nous devons promouvoir une transformation culturelle dans nos comportements et nos rôles et trouver des moyens de dénaturer ces commandements qui semblent justes. Cony Oviedo

_Laís Alann, MST, Brasil_ 

Bien que très invisible, le domaine est large et diversifié [2]. Les
peuples autochtones, les peuples des territoires ancestraux
afro-descendants, les peuples de la forêt et de l'eau, les
agricultrices, les pasteures, les pêcheuses, les apicultrices, les
travailleuses migrantes et saisonnières ont une diversité de modes de
vie et de vivre la sexualité. Dans les pays du sud, ces multiples
possibilités ont été et continuent d'être occultées par des
interventions coloniales, esclavagistes et impérialistes. « Comment la
violence qui a été imposée aux corps de nos ancêtres se poursuit-elle
encore aujourd'hui sur nos corps ? », demande Alessandro Mariano. 

SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE ET LIBERTÉ D'ÊTRE ET D'AIMER COMME VOUS LE
SOUHAITEZ

Les LGBTQIA+ luttent pour pouvoir continuer à vivre à la campagne, à
résister àl'agro-industrie [3], à produire de la nourriture et à
entretenir des relations saines. » Entre capitalisme et patriarcat, ils
veulent nous dire que tout est divisé, que nous ne formons pas un tout
», dit Cony. Pour Via Campesina, ce ne sont pas des fronts différents,
et les séparer en « petites boîtes » est une fragmentation qui bloque la
transformation. La lutte paysanne, féministe, noire, autochtone,
migrante et LGBTQIA+ est une lutte intégrale pour la libération et
l'autodétermination des _territoires-corps_ et des
_territo__ires-terres_. 

Il existe une relation directe de solidarité entre ceux qui produisent
des aliments et luttent pour la souveraineté alimentaire et les
personnes qui en ont le plus besoin. Pour Yeva Swart, « souvent, la
rhétorique autour des personnes LGBTQ est liée à l'amour, mais je pense
que cela va bien au-delà. Les luttes LGBT et la souveraineté alimentaire
ont aussi pour but de remettre en cause certains pouvoirs ». Paula
ajoute que « les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont basés
sur le patriarcat et les relations de pouvoir, et non pas sur ce que la
nature offre ».

MST Brasil 

LA LUTTE LGBTQIA+ EST FÉMINISTE ET ANTIPATRIARCHALE 

Depuis de nombreuses années, Via Campesina a construit le féminisme
paysan et populaire [4] en tant qu'instrument de lutte et organisation
des femmes [5]. En Europe, le mouvement travaille également sur le
concept de féminisme _queer_ pour combattre le modèle binaire du
patriarcat. En faisant avancer le débat et les pratiques féministes
ancrées dans leurs territoires, les femmes du mouvement font face à la
violence, à la division sexuelle du travail et se placent comme
protagonistes de la souveraineté alimentaire, produisant des aliments,
préservant les semences et soutenant la vie. 

Selon Cony Oviedo, « le féminisme paysan et populaire de la Via
Campesina est construit à partir des besoins des compagnes. C'est un
féminisme quotidien, qui lutte contre l'agro-industrie, les mines, les
entreprises extractives, et qui porte les drapeaux de l'agroécologie [6]
et de la souveraineté alimentaire ». « Nous vivons dans un monde
binaire, où les genres se chevauchent. La transsexualité rompt avec
cela, y compris par la non-binarité », ajoute Alessandro Mariano. La
diversité sexuelle et de genre ne consiste pas seulement à pouvoir aimer
qui l'on veut, mais aussi à pouvoir exister tel que l'on est :
transgenre, homosexuel, bisexuel et aussi intersexe et asexuel. 

Les luttes des femmes et des personnes LGBTQIA+ sont dans la remise en
question du contrôle et de la violence du capitalisme raciste et
hétéropatriarchal sur les corps et les territoires. Ils se retrouvent
également dans le désir de transformation pour une société d'égalité et
de liberté. 

> Le féminisme paysan mène une lutte active contre les préjugés intersectionnels auxquels on est confrontés aujourd'hui dans la société. L'essentiel est que les personnes LGBTQIA+ et les femmes remettent en question les rôles de genre et la division du travail qui est imposée  Yeva Swart

La tâche des organisations populaires est de transformer radicalement la
société, ce qui comprend la construction de relations égales,
respectueuses et paritaires. Les espaces d'organisation peuvent alors
être des territoires exempts d'inégalité, d'exploitation et de
discrimination. « Dans la tradition historique de la lutte paysanne,
profondément ancrée dans l'idée de leadership masculin, il y a un
processus d'élargissement de cette lutte pour inclure les femmes et
toute cette diversité. Plus de femmes, de personnes trans, de
lesbiennes, de bisexuels », dit Alessandro à propos des défis de la Via
Campesina. 

L'expérience en Europe montre également la nécessité de changer les
fondements des relations patriarcales. « Les rôles des hommes et des
femmes sur les champs sont souvent très stricts. Il existe de nombreuses
similitudes entre plusieurs pays européens, et la discussion que nous
avons lancée au sein de la Coordination Européenne de la Via Campesina
(ECVC) était importante pour réaliser et comprendre qu'aucune d'entre
nous n'est seule et, deuxièmement, pour commencer à développer des
stratégies pour nous renforcer et renforcer aussi nos contributions au
mouvement », a dit Paula.

 Coordination Européenne de la Via Campesina (ECVC), 2018 

PRATIQUES QUOTIDIENNES ET POPULAIRES DE LUTTE CONTRE LA LGBTPHOBIE

Vers 2015, différentes organisations de la Via Campesina ont commencé à
parler à propos de l'agenda et de l'organisation LGBTQIA+ [7]. Il a
fallu mobiliser du courage, mais aussi de la sensibilité pour ce
processus, compte tenu de la diversité culturelle, d'âge et de région
qu'embrasse la Via Campesina dans les 81 pays où elle opère. 

En Europe, les discussions sur ces sujets ont commencé à l'Assemblée des
Femmes en 2015. Le sujet a été présenté à l'Assemblée générale, où les
discussions ont vraiment commencé à se développer. « L'une des
organisations membres, l'Union Paysanne Galicienne
[_Sindicato__Labrego__Galego_], a immédiatement adopté cet agenda dans
son travail, et comme ils le disent eux-mêmes « ils sont sortis du
placard en tant qu'organisation », raconte Paula. En 2017, la 7e
Conférence Internationale Via Campesina s'est tenue au Pays Basque, ce
qui a constitué un premier jalon pour la construction de la lutte
LGBTQIA+ au niveau international de l'organisation [8]. 

Paula explique que « la diversité des genres ne faisait pas partie de
l'ordre du jour officiel de la conférence, mais nous avons réussi à
préparer certaines actions à l'avance. Nous avons organisé une
exposition avec des images, des articles et des matériaux de différentes
régions. Les gens se promenaient dans la conférence avec des
autocollants et des broches avec le drapeau arc-en-ciel. Notre stratégie
était de commencer à introduire cet agenda dans le mouvement à doses
homéopathiques ».  

Ce processus a conduit à la 1ère rencontre LGBTQIA+ de la Coordination
Européenne de la Via Campesina, tenue en 2018, dédiée à la construction
d'espaces pour la diversité sexuelle et de genre dans l'organisation
paysanne. Ce 28 juin, Via Campesina Europe profite de la Journée de la
Fierté LGBT pour lancer, en espagnol, en anglais et en français, la
publication _Embrasser la diversité rurale : genres et sexualités au
sein du mouvement paysan_ [9], qui rassemble des récits politiques de
militantes sur des expériences et réflexions personnelles et
collectives. 

La graine du collectif LGBT de Via Campesina du Brésil [10] a été
plantée en 2015, lorsqu'un processus d'organisation de séminaires et de
réunions a commencé. Le collectif s'est formé effectivement en 2020,
avec la participation de dix organisations, des réunions mensuelles et
la production d'une synthèse organisée dans un livret [11]. 

Au Paraguay, CONAMURI a entamé un processus de construction collective
pour lutter contre la LGBTphobie en 2016, inspiré par l'expérience
brésilienne. La même année, le collectif _Aireana_, une organisation de
femmes lesbiennes paysannes, a proposé à CONAMURI d'organiser une
réunion LGBTI sans-terre au Paraguay. Puis, en 2017, CONAMURI a
également approché le collectif Panamby, des femmes trans qui font des
interventions artistiques. Les échanges et les activités ont été
fondamentaux pour que la Coordination nationale de la CONAMURI inscrive
ce sujet dans son ordre du jour. 

Aujourd'hui, le militantisme des deux pays s'articule pour construire
une articulation régionale des LGBTQIA+ de la Via Campesina en Amérique
du Sud. Grâce à cela, les femmes LGBTQIA+ de la campagne se sentent
mieux accueillies par l'organisation, leurs existences n'étant plus
défendues individuellement, mais par l'ensemble du mouvement. En mai de
cette année, au Brésil, le MST a subi la perte de Lindolfo Kosmaski, un
homme gay, militant, paysan et enseignant, assassiné au sein de sa
communauté. Pour les militants, l'exécution de Lindolfo est le résultat
de la haine issue de l'avancée du conservatisme. 

> Le patriarcat détruit, le capitalisme fait la guerre, le sang LGBTQIA+ est aussi le sang sans terre ! MST

Selon Yeva, parler de la diversité des sexes est un bon pari face à la
situation actuelle. « Il y a un droit croissant en Europe, et de
nombreuses lois contre les personnes LGBTQIA+ sont adoptées. Les gens se
battent contre le patriarcat et contre les idées religieuses, et aussi
sur les questions de genre et de sexualité. En raison de la situation
des femmes et des personnes LGBTQIA+, les mêmes problèmes se posent en
ce qui concerne les droits des populations paysannes, par exemple, en ce
qui concerne l'accès à la terre et à l'héritage. » 

À propos de cette construction internationale, Paula rappelle que « Dans
certains pays où nous avons des membres, être homosexuel ou trans est
toujours une raison qui mène à la prison. Dans certains endroits,
l'interdiction est telle que des personnes sont tuées ». Par conséquent,
la lutte n'est pas homogène. L'attention portée aux spécificités de
chaque lieu est un atout pour l'organisation multiple et diverse des
paysans et paysannes LGBTQIA+, sujets politiques de la souveraineté
alimentaire. « C'est pourquoi il est très important pour nous de
construire des processus de débat régionaux solides. Une fois que nous
aurons conquis différents processus régionaux forts, nous serons en
mesure de les construire au niveau international. Nous travaillons dans
cette direction, et le travail de certaines régions peut servir
d'inspiration à d'autres. »

_Illustration de Manon Roland sur _«Embrasser la diversité rurale »_,
2021_ 
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 ¹ Le terme _queer _est issu de la langue anglaise et désigne, en
général, les corps et les sexualités qui ne s'identifient pas aux
modèles patriarcaux, binaires et hétéronormatifs. 

Écrit par Helena Zelic et Bianca Pessoa
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves 
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Links:
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[1] https://capiremov.org/fr/tag/souverainete-alimentaire/
[2]
https://capiremov.org/fr/multimedia-fr/galerie/luttes-paysannes-et-souverainete-alimentaire/
[3]
https://capiremov.org/fr/analyse/la-lutte-pour-la-souverainete-alimentaire-cest-la-lutte-pour-la-vie/
[4]
https://capiremov.org/fr/entrevue/pancha-rodriguez-la-souverainete-alimentaire-est-une-decision-pour-changer-le-monde/
[5] https://capiremov.org/fr/analyse/feminisme-paysan-et-populaire/
[6]
https://capiremov.org/fr/multimedia-fr/video-fr/femmes-paysannes-cultivent-le-feminisme-et-lagroecologie/
[7]
https://viacampesina.org/fr/la-diversite-des-genres-dans-le-mouvement-paysan-auto-determination-et-vie-dans-la-campagne/
[8]
https://viacampesina.org/fr/paysannes-de-via-campesina-initient-debat-diversite-de-genre-dorientation-sexuelle-mouvement/
[9] https://www.eurovia.org/fr/43053/
[10]
https://www.facebook.com/viacampesinaOFFICIAL/videos/543765863171822
[11]
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