[Info FR] « Prospérité pour une élite, pauvreté pour le plus grand nombre »

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Ven 3 Déc 16:57:13 CET 2021


 

« PROSPÉRITÉ POUR UNE ÉLITE, PAUVRETÉ POUR LE PLUS GRAND NOMBRE », L'OMC
ET LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE MONDIAUX ONT TRAHI LES PEUPLES

HARARE, LE 29 NOVEMBRE 2021 : 

Vendredi dernier (26 novembre), la 12e Conférence ministérielle sur le
commerce (MC12) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui devait
se tenir à Genève du 30 novembre au 3 décembre, a été reportée jusqu'à
nouvel ordre en raison de la pandémie. Aucune date n'a été fixée pour la
reprogrammation de la Conférence ministérielle. La Via Campesina a,
depuis longtemps, appelé à une sortie totale de l'OMC des négociations
sur l'alimentation et l'agriculture. Vous trouverez ci-dessous la
déclaration officielle du mouvement mondial qui énumère l'impact
destructeur des politiques de libre-échange promues par cet organisme
commercial multilatéral et insiste sur la nécessité d'une alternative
ancrée dans les principes de la souveraineté alimentaire. 
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L'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; le plus fervent défenseur du
commerce de libre-échange mondial, peine à trouver sa crédibilité dans
un monde dévasté par les inégalités, la faim, l'extrême pauvreté, les
guerres et une pandémie sans précédent. 

Voici un rapide bilan des trois dernières décennies, une époque où l'OMC
figurait au premier rang de l'élaboration de règles commerciales
multilatérales visant à renforcer la « coopération mondiale ». 

 	* Aujourd'hui, une poignée de sociétés transnationales contrôlent
ensemble le secteur de l'agroalimentaire : c'est-à-dire les semences,
les produits agrochimiques, les engrais, l'industrie génétique, les
aliments et boissons, et la vente au détail de produits alimentaires. La
coalition des géants de l'agroalimentaire entre 1996 et 2018 a permis
que 60 % des ventes mondiales de semences brevetées soient contrôlées
par seulement quatre compagnies. Les chiffres de 2015, 20 ans après
l'entrée en vigueur de l'OMC, indiquent que 80 % du secteur agrochimique
mondial est resté entre les mains de quatre firmes seulement. Six
entreprises dans le secteur du bétail se partagent une grande partie de
l'industrie de la reproduction et de la génétique, dix multinationales
possédaient presque entièrement l'industrie mondiale des aliments
transformés et des boissons, et huit multinationales contrôlaient les
points de vente au détail dans le monde entier.

 	* Malgré cette emprise des agro-industries sur le système alimentaire
mondial, la faim n'a cessé d'augmenter. Plus de 820 millions de
personnes sont confrontées à la faim aujourd'hui. Celle-ci continue de
grimper, notamment depuis 2015, l'Afrique et l'Amérique latine figurant
parmi les régions les plus touchées.

 	* Les prix des denrées alimentaires augmentent également ! L'indice
des prix des denrées alimentaires, qui suit les prix internationaux des
produits alimentaires de base négociés à l'échelle mondiale, s'est
établi à 133,2 (pour les céréales à 137,1) en octobre 2021, soit le
niveau le plus élevé depuis une décennie !

Il est intéressant de souligner que lorsque l'OMC a été créée en 1995,
son objectif était censé "aider ses membres à utiliser le commerce comme
un moyen de rehausser le niveau de vie, de créer des emplois et
d'améliorer la vie des gens". Voici où nous en sommes aujourd'hui ; 

 	* Des milliardaires possèdent désormais plus de richesses que 60 % de
la population de la planète, alors même que 735 millions de personnes
vivent dans une extrême pauvreté. Beaucoup d'autres ne sont qu'à une
facture d'hôpital ou à une mauvaise récolte de s'y engouffrer.

 	* Dans l'ensemble des pays à faible revenu, le salaire quotidien par
habitant est inférieur à 5 dollars américains et l'écart entre les
personnes ayant des revenus moyen inférieur et celles ayant des revenus
moyens supérieurs n'a fait que se creuser.

 	* En 2019, près d'une personne sur cinq - soit 20 % de l'ensemble des
personnes salariées - n'ont pas gagné suffisamment pour se sortir, eux
et leur famille, de l'extrême ou moyenne pauvreté.

 	* Selon le (UNHCR [1]) HCNUR, le nombre de personnes déplacées de
force, tant à l'intérieur des pays qu'au-delà des frontières, en raison
de persécutions, de conflits ou de violations des droits de l'homme, a
presque doublé au cours des dix dernières années.

 	* La dette mondiale s'élève aujourd'hui à 69 000 milliard de dollars,
la plus élevée de l'histoire de l'humanité. Il y a vingt ans, elle
s'élevait à 20 000 milliards de dollars. Parallèlement, les services
publics souffrent d'un sous-financement chronique. Le dernier rapport de
l'UNICEF sur les dépenses sociales indique qu'au moins 26 pays à faible
revenu prévoient de réduire les dépenses publiques, jusqu'à 8 % du PIB.

Toutes ces données, qui sont une traduction conservatrice des réalités
vécues par les gens, confrontent les prétentions mensongères de l'OMC à
faire « sortir des millions de personnes de la pauvreté ». En bref, au
lieu de libérer qui que ce soit de la pauvreté, la seule « libération »
que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l'OMC
semblent avoir réalisée est celle des milliardaires. Elle a également «
supprimé » les droits de douane qui offrent le peu de protection qu'elle
assurait aux producteurs alimentaires ruraux et aux économies des pays
en développement. 

LA 12E CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE, QUAND ELLE AURA LIEU, CONTINUERA À
DÉFENDRE LES ÉLITES !

Le parti pris du régime mondial de libre-échange en faveur des nations
les plus riches est flagrant dans les discussions qui se déroulent
autour de l'agriculture à l'approche de la douzième Conférence
Ministérielle, en particulier sur la question du stockage public. 

Jugez-en par vous-mêmes : une proposition de solution permanente sur la
« mise en place de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire » a
été présentée à la Conférence Ministérielle de Bali en 2013, avec un
soutien massif des pays en développement. Elle visait à autoriser des
subventions nationales illimitées sur le soutien des prix accordé aux
agriculteurs dans le cadre des programmes de stockage public dans les
pays en développement et les pays les moins avancés. Cette proposition
demandait la suppression du plafond de 10 % imposé par l'Accord sur
l'Agriculture (AsA). 

Comme on pouvait s'y attendre, les pays riches s'y sont opposés. Dans la
logique néolibérale, les subventions massives accordées par les pays
riches à leurs entreprises agroalimentaires transnationales sont
justifiées en tant "qu'incitations commerciales", tandis que les mêmes
subventions accordées par un pays plus pauvre à ses petits producteurs
alimentaires locaux sont qualifiées de "distorsion commerciale". Il
n'est donc pas surprenant de savoir que cette proposition de solution
définitive a été attaquée par les États-Unis, l'Union Européenne, le
Japon, le Canada et l'Australie au cours des sept dernières années. Et
ces pays, qui ont une histoire d'oppression coloniale et impérialiste
(qui a abouti à la pauvreté dont le monde est témoin aujourd'hui),
peuvent faire pression sur l'OMC et ainsi bloquer toute avancée dans ces
discussions. Même à la 12e Conférence Ministérielle, des tentatives
étaient en cours pour publier une version édulcorée de la "clause de
paix de Bali" - un arrangement provisoire convenu en attendant qu'une
solution permanente entre en vigueur. 

LES POLITIQUES COMMERCIALES NÉOLIBÉRALES QUI DOMINENT LE MONDE
D'AUJOURD'HUI SONT EN RUINE. ELLES N'ONT FAIT QUE GARANTIR LA PROSPÉRITÉ
À UN PETIT NOMBRE ET LA PAUVRETÉ AU PLUS GRAND NOMBRE.

À l'heure actuelle, au moins 350 accords régionaux de libre-échange et
plus de 3000 traités bilatéraux d'investissement (TBI) sont en vigueur
dans le monde. Et toutes les négociations de libre-échange sur
l'agriculture et la pêche s'inspirent du très controversé Accord sur
l'Agriculture (AA) de l'OMC. Ce cadre mondial prévoit essentiellement la
réduction des taxes de douane à l'importation, le retrait des
subventions nationales et l'abolition des stocks publics en vue
d'assurer la sécurité alimentaire. Par exemple, l'Accord sur
l'Agriculture n'autorise que 39 pays - dont 17 pays développés et
seulement 22 pays en développement - à recourir à une Protection
Spéciale, c'est-à-dire à la liberté d'augmenter les droits de douane à
l'importation en cas de flambée subite des importations. La demande en
faveur d'un mécanisme similaire pour les pays les moins avancés est
tombé dans l'oreille de sourds - encore un autre exemple de l'inégalité
des rapports de pouvoir qui caractérise les procédures de l'OMC. 

Les conséquences de ces décisions prises par les conseils
d'administration de l'OMC sont réelles pour les paysans et les peuples
indigènes. Une étude menée par la FAO a mis en évidence une augmentation
significative des importations de produits alimentaires dans les pays
les plus pauvres. Elle cite l'exemple du Cameroun, du Ghana, du
Honduras, du Kenya, du Malawi, du Mozambique, des Philippines, du Sri
Lanka et de la Tanzanie, entre autres, où la hausse des importations a
souvent attisé la concurrence entre les produits importés et les
produits nationaux et entraîné une baisse des prix intérieurs, en
particulier lorsque les deux produits sont des substituts. 

Au cours des cinq dernières décennies de leur existence, les accords
mondiaux de libre-échange n'ont apporté que la faim, les émeutes de la
faim, les suicides d'agriculteurs, les crises climatiques, l'extrême
pauvreté et la migration de détresse. Ces accords commerciaux ont ouvert
la voie à la privatisation, à la déréglementation et au retrait de
l'obligation de l'État à fournir des services publics essentiels à sa
population. Ils ont eu un impact dévastateur sur les zones rurales en
particulier. Les femmes et les enfants sont les plus touchés, car la
migration de détresse les oblige à fuir leurs villages et à travailler
dans des conditions inhumaines dans les villes. Dans tous les pays, la
disponibilité et la qualité des soins de santé et de l'éducation
publique ont énormément souffert au cours des cinq dernières décennies,
en particulier dans les zones rurales, privant ainsi les femmes, les
enfants et les jeunes du droit à une vie décente. 

L'acte désespéré de l'agriculteur sud-coréen Lee Kyung Hae, qui a
sacrifié sa vie [2], juste devant le lieu d'une réunion ministérielle de
l'OMC à Cancun il y a dix-huit ans, a exprimé de manière tragique ces
crises dans les zones rurales du monde entier. 

LES GENS RIPOSTENT ! L'OMC ET LES ALE HORS DE L'AGRICULTURE !

Les agriculteur·ices indien·nes, qui manifestent dans les rues depuis
pile un année, réclament, entre autres, un prix de base minimum garanti
par la loi pour leurs récoltes. Les agriculteur·ices qui se révoltent
craignent également que les nouvelles négociations commerciales qui se
profilent à l'horizon (avec les États-Unis et l'Union Européenne)
menacent leur souveraineté alimentaire, leur autonomie et les normes de
biosécurité concernant les aliments génétiquement modifiés. 

En Indonésie, en Thaïlande, au Japon, aux Philippines et en Corée du
Sud, les paysan·nes résistent au CP-TPP [3], au RCEP [4], au FTAAP-21 et
à toute une série d'autres accords commerciaux régionaux que les grandes
puissances économiques mondiales comme les États-Unis et la Chine sont
en train de faire adopter. 

En Argentine, en Équateur, au Kenya et en Zambie, les citoyen·nes
protestent contre la crise de la dette provoquée par le FMI. L'accord
UE-Mercosur [5]se heurte à la résistance des paysan·nes et des
organisations de la société civile des deux côtés de la scène. Ils
signalent que dans les pays du Mercosur, la production de soja, de sucre
et de viande, par exemple, s'industrialise de plus en plus,
principalement en lien avec le modèle d'exportation massif. Le bassin
amazonien d'Amérique du Sud, qui jour un rôle essentiel pour le climat
et la biodiversité au niveau mondial, est contraint de se soumettre à ce
modèle. 

UNE ALTERNATIVE ANCRÉE AU CŒUR DE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE !

A quoi servent l'OMC et une panoplie de ces accords de libre-échange
s'ils ne font que prolonger une habitude coloniale de soumission d'une
majorité de la population ? Ces accords de libre-échange, souvent
négociés à huis clos aux moyens de processus opaques, sont les symboles
persistants de l'impérialisme et du néocolonialisme du XXIe siècle. Les
mots du paysan coréen Lee Kyung Hae résonnent à nouveau aujourd'hui à
voix haute : « ...Les multinationales incontrôlées et un petit groupe de
membres puissants de l'OMC mènent une mondialisation indésirable qui est
inhumaine, dégradante pour l'environnement, meurtrière pour les
agriculteurs et antidémocratique... » avait-il déclaré. 

C'est pourquoi La Via Campesina n'a jamais cru à une réforme de l'OMC.
Il s'agit d'une organisation dont les principes fondateurs permettent
l'expansion d'une nouvelle ère de colonialisme facilité par les accords
commerciaux. Ce qui a changé au fil des ans, est probablement
l'émergence croissante d'accords commerciaux bilatéraux et régionaux sur
les médias qui suivent le même schéma que celui établi par l'OMC, mais
en dehors de celle-ci. 

Pour La Via Campesina - le mouvement mondial de paysan·nes, d'indigènes,
de travailleur·euses agricoles, de migrant·es, de pêcheur·euses et
d'éleveur·euses - la seule solution viable pour laquelle nous avons
historiquement plaidé est que l'OMC et les ALE restent en dehors de
toute discussion sur l'agriculture. La nourriture ne peut être soumise
aux caprices et aux fantaisies d'un marché libre où seuls ceux qui en
ont les moyens peuvent en profiter. 

En tant que mouvement présent dans 81 pays, La Via Campesina a de
nouveau appelé à un système commercial fondé sur les principes de la
Souveraineté Alimentaire. Nous devons réclamer un système commercial
multilatéral qui respecte les alliances politiques, économiques et
sociales pour défendre l'indépendance, l'autodétermination et l'identité
des peuples qui le composent. Un système construit sur la coopération et
la compassion (et non sur la compétition et la coercition comme le
pratique actuellement l'OMC). Un système qui libère les peuples du monde
de la dette, de la faim, des conflits, de l'inégalité et de la pauvreté.
Nous avons besoin d'un système commercial multilatéral où les mouvements
sociaux se voient accorder une position d'autorité égale à celle des
gouvernements dans la définition des règles commerciales entre les pays,
et où les processus pour atteindre un consensus restent transparents,
inclusifs et démocratiques. 

L'OMC ET LES ALE HORS DE L'AGRICULTURE ! 

L'OMC TUE LES PAYSAN·NES ! 

LE COMMERCE SOLIDAIRE MAINTENANT ! 

LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE MAINTENANT ! 

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LA VIA CAMPESINA

  

Links:
------
[1] https://www.unhcr.org/60b638e37/unhcr-global-trends-2020
[2]
https://viacampesina.org/fr/sortons-l-agriculture-de-l-omc-lee-kyung-hae-reproduire-sa-lettre-de-2003/
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_partenariat_transpacifique
[4]
https://fr.wikipedia.org/wiki/Partenariat_r%C3%A9gional_%C3%A9conomique_global
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/March%C3%A9_commun_du_Sud
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